Ne mettez pas les gens dans des cases
« Au fond Ariane, vous sentez-vous suisse romande ou suisse alémanique ? » Toute personne ayant reçu une éducation bilingue ou étant un « enfant de la troisième culture » a déjà entendu ce type de question.
Je suis suisse. Une Romande née et élevée à Bâle, dans la partie alémanique de la Suisse. À la maison, nous parlions exclusivement français alors que je parlais le Baseldytsch, le dialecte suisse alémanique local, avec mes amis et camarades de classe et l’allemand standard (ou « bon» allemand) à l’école. Par la suite, j’ai passé six ans en Allemagne pour mes études, j’ai vécu deux ans au Niger, un pays d’Afrique francophone, puis je me suis installée à Genève, tout en continuant à parcourir le monde pour mon travail. Il est donc difficile de m’associer à une catégorie en particulier.
Nous sommes en réalité, tous, bien trop complexes pour en être réduits à une simple étiquette.
Lorsque l’on met les gens dans des cases, le risque est que ces cases sont souvent associées à des idées préconçues. Quand j’étais écolière, mon professeur d’allemand m’a longtemps donné de mauvaises notes à cause de mon étiquette « romande ». Un jour, j’ai réussi à lui prouver qu’il avait tort en échangeant mes devoirs avec ceux de ma meilleure amie. Elle a eu une meilleure note avec mes devoirs que moi avec les siens. De la même manière, lorsque je me suis installée en Suisse romande, j’ai été accusée par une collègue romande d’être une Suisse alémanique cachée derrière une étiquette romande.
Je suis suisse. Une Romande, née et élevée en Suisse alémanique. C’est mon identité. Point. Mais comme l’a dit Amartya Sen : « Le défi consiste à convaincre le monde de nous voir de la même manière que nous nous voyons ».
Identité, discrimination, violence… et espoir
Mon père, qui était journaliste sportif, a acheté notre première télévision noir et blanc en 1968 pour regarder les Jeux Olympiques de Mexico. Regarder la télévision cette année-là m’a fait sortir du monde merveilleux de mon enfance. Deux images m’ont marquée à jamais :
1) Tommie Smith et John Carlos, deux athlètes afro-américains, brandissant un poing ganté de noir lors de leur cérémonie de remise des médailles à Mexico pour protester contre la discrimination raciale aux États-Unis.
2) Les enfants affamés au Biafra. La guerre du Biafra, au Nigeria, fut l’une des guerres africaines d’indépendance les plus sanglantes : plus d’un million de civils de cette région périrent à cause de la faim et des violences.
Avant les Jeux Olympiques, nous sommes allés aux États-Unis en famille pour que mon père puisse interviewer des athlètes américains dans plusieurs camps d’entraînement situés sur la côte ouest. Nous nous sommes arrêtés à Eugene, dans l’Oregon, qui était l’une des capitales du mouvement hippie. J’ai alors eu l’occasion d’assister à l’un des nombreux défilés anti-guerre. « Faites l’amour, pas la guerre. » Je n’étais encore qu’une jeune enfant, mais ces expériences ont eu un impact considérable sur ma vie et les choix professionnels que j’ai effectués des années plus tard.
Vole de tes propres ailes
En Suisse, l’indépendance est généralement appréciée et encouragée, plutôt que l’interdépendance. Dès leur plus jeune âge, les enfants apprennent à être autonomes et à dépendre d’eux-mêmes plutôt que des autres, par exemple en allant seuls à l’école maternelle ou primaire.
J’étais passionnée de patinage. Mais en été, la patinoire en plein air de ma ville était transformée en courts de tennis. À dix et onze ans, mes parents m’ont envoyée seule à La Chaux-de-Fonds pour les vacances d’été afin que je puisse m’entraîner sur une patinoire couverte. Je vivais dans une auberge de jeunesse, m’occupais de mes courses, préparais mes repas sur un réchaud de camping et je n’ai manqué aucune de mes séances quotidiennes de patinage. Une fois par semaine, le dimanche, j’appelais mes parents d’une cabine téléphonique pour leur dire que tout allait bien. L’indépendance occupe donc une place de choix sur mon échelle des valeurs. Je ne remercierai jamais assez mes parents pour m’avoir inculqué cette vertu, même si certains estimeront peut-être qu’ils ont fait preuve d’irresponsabilité. D’autres me plaignent même, en pensant que je devais éprouver de la solitude à faire les choses par moi-même.
Les voyages forment la jeunesse
Lorsque j’étais adolescente, j’ai d’abord travaillé un été dans une ferme équestre à Gloucester, en Angleterre, puis ai passé deux étés aux États-Unis.
Côte est : je suis allée à Cambridge, à côté de Boston, en tant que fille au pair. Par chance, la famille qui m’accueillait n’avait pas (encore) d’enfants. Le matin, je les aidais dans leur petit magasin de menuiserie avant de m’adonner, l’après-midi, au plaisir de la danse dans une école voisine nommée « Joy of Movement ». Je suis rentrée chez moi plus en forme que jamais, même après avoir découvert quelques nouveaux aliments pour le moins caloriques (comme mon premier petit déjeuner local : un sandwich à la banane, au miel, au beurre de cacahuète et à la crème de guimauve). Dans l’ensemble, cette leçon de vie incarnée par un séjour au sein de la seule « famille blanche » d’un quartier « afro-américain » m’a enrichie.
Côte ouest : j’ai rejoint mon oncle, qui était professeur d’université près de Los Angeles, en Californie. Des étudiants affluaient du monde entier pour travailler dans son équipe. J’ai donc découvert un « monde global » avant l’avènement de la mondialisation et j’ai savouré chaque minute passée avec ce groupe cosmopolite. J’en ai également profité pour vaincre certains stéréotypes avec lesquels je vivais. En pleine Guerre froide, il m’a fallu du temps pour m’ouvrir aux étudiants russes. J’ai toutefois exploré la force de la curiosité sincère et l’avantage de rechercher ce qui nous rapproche plutôt que ce qui nous sépare.
Petites différences, grandes perturbations
Grâce à ma mère, une brillante réseauteuse bien avant l’émergence d’Internet et des réseaux sociaux, nous avons trouvé une université allemande qui correspondait à mes aspirations professionnelles. J’ai suivi un cursus « sécurité alimentaire et économique », focalisé sur les pays en développement, à l’université Justus-Liebig. Il s’agit d’un domaine hautement interdisciplinaire, dans lequel les matières traitées allaient de l’économie et de l’économie politique aux statistiques et à l’anthropologie, sans oublier l’agriculture, la biologie, la chimie, la biochimie, la santé publique et la physiologie nutritionnelle.
En arrivant, j’ai toutefois vécu mon premier véritable « choc culturel ». J’ai cru, à tort, que les choses ne seraient pas SI différentes de ce à quoi j’étais habituée en étant à trois heures et demie de route de chez moi et en partageant la même langue (l’allemand). Mais de ces petites différences naissent de grandes perturbations : entre les styles de communication et d’argumentation, l’attitude à l’égard de la hiérarchie et même les habitudes alimentaires et les formes de politesse, rien n’était vraiment comme en Suisse. Lorsque nous changeons de continent, nous nous attendons à vivre des choses différentes et nous nous y préparons. C’est moins le cas avec un pays voisin, à plus forte raison si l’on y parle la même langue. La nature inattendue de ces différences parfois ténues, mais bien réelles, peut être source de doute et de perplexité.
Années d’apprentissage : de la théorie à la pratique
Se considérer comme une « professionnelle » après six ans d’université, une fois confronté au monde réel, est illusoire.
Guidan Sori, Niger, Afrique de l’Ouest : volontaire pour Médecins sans frontières dans le Sahel, seule femme blanche dans un village de 25 familles (8,5 personnes en moyenne par foyer) survivant de la culture de l’arachide à titre de récoltes commerciales et du millet, du sorgho et du niébé comme culture de subsistance. Les précipitations étant rares voire inexistantes, le produit de l’agriculture est imprévisible.
Ma tâche consistait à examiner et à soigner des enfants mal nourris ainsi qu’à enseigner aux mères à mieux alimenter leurs enfants afin de réduire le taux de malnutrition élevé frappant la région. J’ai rapidement réalisé que le fait d’être une jeune femme célibataire sans enfant n’allait pas favoriser ma crédibilité parmi les personnes que j’aidais, du moins au début. Par la suite, j’ai compris que je devais me concentrer sur les hommes, seuls décideurs de la manière de dépenser l’argent dont ils disposaient. À la fin de mon séjour, mon attention s’était totalement orientée vers les programmes liés à l’économie et à l’agriculture en vue de mieux assurer la génération de revenus et, de ce fait, un meilleur régime alimentaire.
Voici la chose la plus importante que je retiendrai de mon expérience au Niger : ne jamais se considérer comme un « expert ». Ou, comme l’avait dit l’écrivain et ethnologue malien Amadou Hampâté Bâ : « Il faut savoir qu’on ne sait pas. Su tu sais que tu ne sais pas, alors tu sauras. Mais si tu ne sais pas que tu ne sais pas, alors tu ne sauras pas ».
Années humanitaires
Je n’oublierai jamais ma première mission pour le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en 1988, assise dans un avion « Ariana Afghan Airlines » approchant l’aéroport de Kaboul, en Afghanistan, dans un mouvement en spirale brutal, rapide et extrêmement serré, entouré d’avions militaires lâchant des leurres thermiques pour ne pas être touchés par des missiles. Bienvenue dans l’humanitaire ! Plus de 50 autres missions ont suivi dans des dizaines de zones de guerre en Afrique, en Asie, en Asie centrale, au Moyen-Orient, dans le Caucase et dans les Balkans. Je me souviendrai également toujours de ma dernière mission pour le CICR, mon quinzième voyage en Afghanistan. Je devais me rendre à cheval dans des villages reculés, perdus dans l’une des régions les plus montagneuses du pays. J’avais l’impression que la boucle était bouclée.
D’un point de vue professionnel, j’ai mené des évaluations du degré de sécurité économique de populations, de régions et d’institutions publiques pour le compte du département Sécurité économique du CICR. J’ai réalisé des évaluations de programmes et des besoins et ai effectué des tâches de planification stratégique ainsi que de gestion et mise en œuvre de projets. J’ai dû négocier avec les autorités locales et d’autres organisations humanitaires puis coordonner nos actions. J’ai par ailleurs conçu et assuré plusieurs formations destinées à des employés du CICR et des universités sur quatre continents.
Au niveau personnel, mes années dans l’humanitaire m’ont appris l’humilité et la reconnaissance d’avoir grandi dans un environnement sûr et serein. Elles m’ont incité à prendre de la hauteur et à essayer de me mettre dans la peau des autres, même si le chemin était semé d’embûches. J’ai réalisé que les choses n’étaient jamais noires ou blanches et qu’il existait une multitude de nuances de gris. J’en suis arrivée à remettre en question ce que je supposais, à réfléchir différemment et à élaborer mes solutions créatives et personnalisées, à défaut d’être universelles. Enfin, j’ai pris conscience que les gens qui en avaient le moins étaient parfois les plus accueillants et généreux et qu’il n’était pas forcément nécessaire d’être riche pour être heureux.
Prise de recul : conversion de mon expérience en compréhension durable
Désireuse de développer mes compétences en management en tant que nouvelle directrice du département Sécurité économique du CICR, j’ai commencé un master exécutif en management et développement organisationnel. Durant ce cursus, deux de mes professeurs m’ont fortement conseillé de transformer mon expérience internationale en compétences interculturelles. « Vous avez parcouru le monde pendant tellement d’années. Retournez donc à l’université et prenez le temps de structurer votre expérience. » Après avoir hésité, j’ai finalement accepté et obtenu plusieurs certificats interculturels en Europe et aux États-Unis. Mon seul regret est d’avoir attendu si longtemps pour « convertir ce que j’avais vu en compréhension durable », comme le dit l’écrivain de voyages Pico Iyer.
Quelques certificats académiques plus tard (AI – Appreciative Inquiry, MBE – Manager in Business Entertainment, Process Consulting et culture d’entreprise, etc.) et après avoir réalisé mon rêve d’enfant de prendre des cours de cirque à l’école Dimitri de Verscio (au Tessin / en Suisse italienne), j’ai senti qu’il était temps d’aller de l’avant et de trouver un moyen de mettre mes compétences et mon expérience au service de personnes et d’organisations travaillant dans un monde de plus en plus complexe et multiculturel.
Connecter les personnes
Ctrl Culture Relations a été fondée à Lausanne (Suisse) en 2001 et tant qu’entreprise individuelle et possède un vaste réseau international de collègues et professionnels partageant le même état d’esprit. Son objectif consiste à aider les individus, les équipes et les organisations à avancer et à réussir dans un monde du travail de plus en plus complexe, volatil et interconnecté. Des sociétés privées, des organisations gouvernementales et non gouvernementales, de petites entreprises avec des partenaires internationaux, des entreprises fusionnées, des organismes humanitaires internationaux ainsi que des universités comptent parmi ses clients.
Connecter les personnes est une composante essentielle de mon travail : les connecter avec elles-mêmes, autrui et leur environnement pour améliorer les performances individuelles, l’efficacité collective et accroître la réussite des entreprises. Je m’engage à répondre aux besoins et attentes de mes clients, ou à les dépasser, ainsi qu’à écouter mon cœur et à suivre mon intuition pour fournir ces services de manière fortement créative et participative, ce qui est important à mes yeux. Je suis reconnue pour la passion, l’enthousiasme et le dynamisme avec lesquels j’aborde ma mission et pour la motivation dont je fais preuve pour explorer de nouveaux horizons au profit de mes clients.